Friches urbaines / Valencia
Aujourd’hui, la ville croît, s’étend, se densifie. Notre époque est celle des grandes métropoles, tentaculaires, dont on ne contrôle parfois plus la croissance, et où se bousculent dans les périphéries les projets urbains les plus démesurés et hors d’échelle. Ironiquement, la ville produit en son sein même des espaces résiduels, en contradiction même avec l’image des grandes mégalopoles.
C’est le cas de Valence, qui ne dérroge pas à la règle des villes espagnoles, où on voit un nombre croissant de délaissés, parcelles abandonnées, vides, apparaître.
Terrains vagues, délaissés urbains, interstices, dents creuses, tout un panel des terminaisons pour désigner ces espaces résiduels morcelés et fragmentés. Ce phénomène s’observe dans différents quartiers de la ville tels que le Cabanyal, ou Benimaclet, mais encore plus étonnemment dans le centre historique ; Ciutat Vella. Cœur patrimonial et lieu hautement touristique, doté d’une architecture riche (la cathédrale, le Mercado Central, la Lonja de la Seda, l’Ayuntamiento). A quelques mètres, en s’éloignant un instant des sentiers touristiques, au détour d’une ruelle, il est certain de croiser une de ces friches, qui coexiste avec les monuments de manière presque illicite dans le vieux tissu urbain.
Il n’est pas rare d’y voir un artiste urbain qui a laissé son empreinte sur un mur pignon. Dans d’autres cas, ce sont les résidents de la rue qui se sont mobilisés pour transformer le terrain en espace communautaire de partage, potager urbain participatif, tel que le Solar Corona. Certains collectifs (LAminúscula estudio, Arquitecturas Colectivas, etc), appuyés par les municipalités, ont travaillé sur la réactivation de ces espaces délaissés. Ces espaces donnent le jour à de nouvelles pratiques alternatives, de nouvelles formes de «vivre ensemble».
Comment réactiver un lieu? Par quels moyens?
Ces initiatives sont génératrices d’un nouveau type d’urbanité, car elles mettent en oeuvre de nouveaux processus d’appropriation et d’autogestion de l’espace urbain. Ils impliquent que le citoyen devienne acteur de la fabrication de la ville, et où la friche devient laboratoire d’expérimentation.
Ces espaces suscitent un intérêt tout particulier de nos jours car ils offrent des qualités spatiales uniques et une opportunité de repenser la ville diféremment, de l’intérieur. L’échelle des villes accentue l’isolement, l’individualisme. Ces espaces invitent à replacer l’individu au coeur des préoccupations et des usages, et à reconsidérer la ville selon une échelle plus petite, celle du local, des quartiers, de la «micro-échelle», et du communautaire.
La naïveté du communautarisme n’est pas non plus à oublier, et il ne s’agit pas de tomber dans un autre extrême qui serait une vision utopique de la communauté, mais plutôt de retrouver un mode de vie qui resitue le citoyen au centre du projet architectural et urbain.
Pour l’architecte, comme pour l’usager, ces espaces marginaux appellent à l’instinctif, à un retour au vernaculaire, à la fibre sensible. Les friches offrent des possibilités infinies. Elles sont la réserve de disponibilité de la ville, des potentialités, de véritables réservoirs urbains. Ce sont, comme l’écrit P. Bouchain, « des lieux porteurs de possibles dans un état d’exception latente ». Elles sont à envisager comme un potentiel de revitalisation des quartiers (acupuncture urbaine), qui souffrent d’un manque de vie. Elles laissent des espaces vides au coeur de la ville, libres à de nouveaux usages, des espaces à investir.
A l’heure où la ville cherche à s’offrir une nouvelle image (Cité des Arts et des Sciences, de S. Calatrava ; Pavillon Veles e Vents, de D. Chipperfield, etc), les friches dégagent quant à elles une poésie de l’abandon, du non-lieu, du vide, et apportent à ces quartiers de la ville une identité propre, il s’agit de l’essence même de ce qui définit la ville. Leur futur reste incertain mais ouvert aux possibilités. « Le vide existe tant que tu ne te jettes pas dedans».
Texte: Anne-Claire Bled / Photographie: Anne-Claire Bled / Ecrit pour AAAA magazine /Publié le 13 janvier 2016